Préservation de la biodiversité microbienne chez les fromagers

Préservation de la biodiversité microbienne chez les fromagers

Un nouveau concept de gestion de la biodiversité destiné aux fromagers, qui consiste à stabiliser l’écosystème d’un fromage entier, a été développé dans les laboratoires de l’UMR GMPA. Des premières expérimentations (lyophilisation, congélation à différentes températures puis réensemencement du lait et fabrication de fromage) ont eu lieu en laboratoire. Cependant, avant de développer davantage ces pistes, il a été décidé de se tourner vers les possibles utilisateurs afin de savoir leurs pratiques actuelles d’ensemencement et leur diversité, les stratégies productives dans lesquelles elles s’insèrent, les freins ou leviers à l’introduction de nouvelles solutions en la matière. L’objectif de ce stage était ainsi de mieux comprendre et caractériser ce que font aujourd’hui les fromagers, les solutions qu’ils ont développées pour préserver la biodiversité microbienne de leurs fromages et l’intérêt d’innover en la matière.

Actuellement, les fromagers travaillant à base de lait cru sont attachés à produire des fromages de qualité remarquable par des procédés traditionnels tout en garantissant une qualité sanitaire. La charge microbienne du lait cru est déterminante pour la qualité du fromage. Elle a drastiquement diminué ces dernières décennies du fait des pratiques agricoles et des contraintes sanitaires existantes. Les pratiques des fromagers en réponse à ces variations de charge microbienne sont nombreuses : thermisation du lait, ensemencement dirigé, maturation du lait cru… Quelles que soient les pratiques utilisées, tous les fromagers sont d’accord pour dire que la typicité d’un fromage est fortement liée à la biodiversité microbienne en fin d’affinage. Ceux qui travaillent avec une flore autochtone (sans ensemencement dirigé) craignent de perdre cette biodiversité. Des pratiques « anciennes » permettant de travailler sans ensemencement dirigé (old-young smearing) ne sont plus autorisées par la règlementation. Des premiers travaux au sein de l’UMR GMPA ont permis d’imaginer des nouvelles méthodes qui permettraient de préserver la biodiversité microbienne des fromages telle qu’elle s’exprime au sein d’une fromagerie donnée.

Dans ce contexte, ce stage avait deux objectifs. D’une part, de réaliser un diagnostic des usages en repérant la diversité des pratiques des fromagers contribuant à conserver la charge et la biodiversité microbienne nécessaire à la fabrication des fromages au lait cru qu’ils souhaitent commercialiser. D’autre part, de savoir comment proposer aux fromagers de nouvelles pratiques comme la production d’un ferment multi-souche développé en ferme à partir de leurs propres fromages et respectant les exigences sanitaires actuelles.

Pour répondre à ces objectifs, des entretiens ont été réalisés avec des professionnels de filières AOP (Appellation d’Origine Protégée) et non AOP : représentants des AOP, conseillers techniques et fromagers. Le travail a été réalisé avec trois filières en particulier : fromage de chèvre, Maroilles, et Neufchâtel.

Différentes pratiques ont été ainsi identifiées, telles que l'ensemencement dirigé par ajout de ferments commerciaux, l'ensemencement traditionnel par ajout du lactoserum ou par lactofermentation, ou des pratiques moins conventionnelles comme celle du « vaccin », qui consiste à aller chercher un Neufchâtel, chez un autre transformateur connu pour faire de beaux fromages, et de l’émietter pour l’incorporer dans la pâte lors du malaxage. Les pratiques repérées permettent de mieux cerner les conditions opérationnelles de mise en œuvre du concept en ferme et d’envisager les modalités de son test. Par ailleurs, l’analyse des stratégies des fromagers met en lumière qu’une fois qu’ils ont stabilisé leur procédé, ils sont moins enclins à être ouverts à de nouvelles façons de faire l’ensemencement. Enfin, l’analyse des réseaux entre acteurs au sein d’une filière et la comparaison entre AOP et filière hors AOP, oriente aussi la façon d’introduire l’innovation. A partir des quelques filières étudiées, il semble que les marges de manœuvre sont plus fortes en filière fermière qui ont tendance à développer en interne des solutions innovantes dont certaines proches du concept développé, et sont plus ouvertes à l’innovation. Dans ces filières la présence de conseillers techniques ou de producteurs reconnus pour leur expertise et la recherche de solutions répondant aux problèmes des fromagers semble être la meilleure porte d’entrée pour identifier des fromagers avec qui développer le concept.  

Ces résultats sont autant de pistes à explorer pour améliorer le concept, avec et pour les fromagers.

Date de modification : 05 juillet 2023 | Date de création : 11 décembre 2018 | Rédaction : Caroline Pénicaud, Marianne Cerf